18/03/2023 | Article | Responsabilité bancaire | Défaut de vigilance | Victime d'escroquerie
Par un jugement du 25 octobre 2022 le Tribunal judiciaire de Strasbourg a condamné le Crédit Agricole Alsace Vosges pour manquement à son devoir général de vigilance et à son devoir de mise en garde à l'égard de son client. Celui-ci a été indemnisé à hauteur de 60% des sommes perdues.
Les faits
Au cours de l’année 2015 Monsieur X, jeune retraité au moment des faits, a souhaité investir le fruit de son épargne. Après avoir effectué quelques recherches sur internet, il a été démarché par des plateformes de trading frauduleuses en vue d'investir ses fonds dans différents produits (Forex, options binaires etc.) avec la promesse de gains importants, rapides et sans risque.
Entre les mois d’octobre 2015 et mai 2016 il a effectué 15 virements bancaires à destination de plusieurs banques étrangères pour un montant total de 95 000 € depuis son compte bancaire ouvert dans les livres du Crédit Agricole Alsace Vosges.
Ne pouvant obtenir aucun retrait de ses fonds malgré les gains visibles sur son compte de trading et l’impossibilité de joindre ses interlocuteurs, Monsieur X s’est rendu compte de l’escroquerie dont il était victime et a déposé plainte le 22 mai 2016.
C’est dans ce contexte que le 1er septembre 2020 Monsieur X a mis en demeure le Crédit Agricole Alsace Vosges de lui régler la somme de 95 000 € correspondant, selon lui, au préjudice subi. La banque ayant refusé toute responsabilité, Monsieur X a décidé de l’assigner devant le Tribunal judiciaire de Strasbourg pour non-respect de son devoir de vigilance, compte tenu du fonctionnement manifestement inhabituel de son compte bancaire, afin d'obtenir réparation de son préjudice financier.
Manquement du Crédit Agricole Alsace Vosges à son devoir général de vigilance
1. Sur la responsabilité contractuelle de la banque
Dans le cadre de son jugement, le Tribunal judiciaire de Strasbourg rappelle d’abord que « le débiteur est condamné au paiement de dommages-intérêts à raison de l’inexécution de son obligation toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part » (réf. article 1231-1 du Code civil (anciennement 1147).
Les juges soulignent que « si un banquier ne doit pas s’immiscer dans les affaires de son client et ne peut donc pas s’opposer aux opérations que celui-ci effectue à partir de son compte bancaire, il est en revanche tenu à un devoir de vigilance en présence d’anomalies apparentes qu’elles soient matérielles ou intellectuelles » et qu’en présence de telles anomalies le banquier se doit « de mettre son client profane en garde ».
Les juges rappellent, par ailleurs les critères susceptibles de constituer les anomalies apparentes* :
Le montant élevé des virements ;
Le caractère inhabituel des virements ;
La qualité des destinataires ;
La période très courte pendant laquelle les virements sont exécutés ;
Les virements effectués représentent une part non négligeable des économies de Monsieur X.
*Cette liste n’étant pas exhaustive, l’appréciation étant faite au cas par cas.
2. Sur le manquement de mise en garde par le banquier en présence d'anomalies apparentes
Le Crédit Agricole Alsace Vosges a soutenu que Monsieur X « était en réalité un investisseur averti et le devoir de mise en garde ne s’applique pas à lui ».
Or, selon les juges dans le cas en l’espèce rien ne permettait d’affirmer que le demandeur avait la qualité d’investisseur averti ce qui l’aurait privé de la possibilité de bénéficier du devoir de mise en garde de la part de son banquier.
Ainsi il a été jugé que lorsque le compte bancaire de Monsieur X s’est mis à fonctionner dans « des conditions tout à fait inhabituelles et susceptibles de lui causer un préjudice, la banque qui connaît les risques inhérents au trading en ligne et a les moyens d’être informée du caractère frauduleux ou non des sites concernés », aurait dû procéder à des vérifications et aurait dû interpeler son client.
Dans le cas contraire, le banquier a forcément manqué tant à l’obligation de vigilance qu’au devoir de mise en garde qu’elle avait à l’égard de Monsieur X.
3. Sur l’évaluation de la perte d’une chance
Le Tribunal judiciaire de Strasbourg formera son jugement et la charge de la responsabilité en retenant, d’un côté, que Monsieur X a contribué personnellement à la réalisation de son préjudice et, d’un autre côté que, du fait de ses manquements, la banque a favorisé la perte de chance subie par Monsieur X.
En conclusion, Le Crédit Agricole Alsace Vosges a été condamné en réparation du préjudice de perte de chance de Monsieur X à hauteur de 60 % du montant total des sommes perdues, soit à la somme de 57 000 € (95 000 X 60 %).
Décision du Tribunal judiciaire de Strasbourg, 25 octobre 2022, n° 20/03862.
Ce jugement s’inscrit dans une lignée de décisions récentes qui se prononcent en faveur de la réparation du préjudice subi par les victimes d’escroqueries financières par leurs établissements bancaires en cas d’anomalies apparentes et ceci à une hauteur souvent dépassant les 50%.
NSP Avocats accompagne de nombreuses victimes d’escroqueries aux faux placements sur internet, y compris dans le cadre de leurs recours contre les banques émettrices.
Nous sommes à votre disposition pour toute information complémentaire.
Me Nadezhda SVINAROVA-PETROVA et Stoil PETROV
Cette condamantion s'inscrit dans une tendance récente qui, en cas de manquements de vigiliance et de surveillance, consiste à reconnaître que la responsabilité contractuelle de la banque est susceptible d’être engagée par son client en vue d’obtenir une indemnisation du préjudice subi du fait de l'escroquerie dont celui-ci est la victime ⚠️